Profil de libriste : Goffi.

SaT

> Tout d’abord, présentez-vous un peu.

Je m’appelle Jérôme Poisson, aussi connu sous le pseudonyme « Goffi », développeur et voyageur à mes heures, j’ai plusieurs centres d’intérêts, dont la politique. Difficile d’en dire plus: je préfère nettement une rencontre autour d’une bonne bière qu’une autobiographie

> Comment avez-vous découvert les logiciels libres ? C’était il y a longtemps ?

Étant passionné d’informatique depuis mon plus jeune âge, la découverte des logiciels libres semblait inéluctable. J’ai touché à mon premier GNU/Linux grâce à un CD du magazine « Joystick » où on pouvait trouver une petite distro (peut-être bien une Red Hat), ça devait être en 1997 ou 1998. Je n’ai pas approfondi tout de suite, surtout que j’ai changé d’hémisphère peu de temps après, mais j’ai fini par m’y remettre, à l’ancienne (c.-à-d. en luttant avec une procédure d’installation à s’arracher les cheveux), avec une carte graphique trop récente pour être reconnue, et un internet encore trop rare pour bien aider (surtout là où j’étais). Puis petit à petit j’ai eu un dual boot (avec une Mandrake à l’époque je pense), et de fil en aiguille j’ai supprimé Windows, que je n’utilise plus du tout depuis longtemps (10 ou 15 ans peut-être).

> Qu’est-ce qui vous a plus et qui vous a donné envie de vous impliquer ?

J’écris des logiciels depuis tout petit (j’ai dû faire mes premiers programmes vers 8 ans, à la fin des années 80). D’abord je recopiais des listings depuis des livres, puis j’ai fait des tas de petites choses, notamment des jeux (en Amiga Basic, j’ai eu un Amiga qui m’a beaucoup marqué et appris). Est arrivé mon premier PC, qui était une bombe à l’époque: un Pentium 60 (si si, ça a existé !). Là je me suis mis au QBasic, aux scripts .bat. Et puis j’ai mis mes économies de côté et je me suis acheté Turbo Pascal 7 et Turbo Assembleur, quelque part vers la 5ème je pense; c’est là que les choses vraiment sérieuses ont commencé ! C’est la première fois que j’entendais parler de Programmation Orientée Objet, de pointeurs, etc. Par la suite j’ai touché un peu à tout: Delphi pendant longtemps (suite logique de Turbo Pascal), programmation sur calculatrice (ah la TI 89 !) au lycée, Javascript (à l’époque où c’était encore la guerre IE/Netscape), PHP, C/C++ évidemment, Java et même un peu de Perl ! Jusqu’à ce que je découvre, tardivement, Python (j’ai commencé peu avant de commencer SàT), et que je ne le quitte plus: quel gain de temps ! J’apprécie énormément de passer moins de temps à coder/débugger, et plus à imaginer.

Quant aux logiciels libres, ce n’est pas venu tout de suite: au début je ne savais pas ce que c’était, et mes premiers logiciels publiés – quand ça devenait possible avec le net – l’ont été sans les sources (mais gratuitement bien sûr). Quand j’ai découvert et compris un peu mieux le concept, j’ai re-publié en licence libre les projets dont j’avais encore les sources (et qui en valaient la peine), puis tous les nouveaux…

Bref l’implication est venue par passion: d’abord de faire des choses, puis d’en faire profiter les autres (et d’avoir des retours, c’est génial les retours !), et maintenant par engagement politique (et aussi dans l’espoir d’en vivre).

> D’où est venu l’idée de Salut à Toi, ce logiciel libre de communication multi-usage et multi-interfaces ?

Je voulais un gros projet pour me perfectionner en Python et apprendre Twisted, un cadriciel. Dans le même temps je ne trouvais pas de client XMPP à mon goût. Alors j’ai pensé à un client multi-interfaces et à l’architecture de SàT. J’ai commencé à m’y mettre sur mon temps libre, et les choses ont rapidement été excitantes (avec Python et Twisted il a été possible d’avoir des résultats très vite). Le côté politique est venu presque immédiatement, et l’aspect « plus que de la messagerie instantanée » coulait de source en découvrant les entrailles de XMPP.

> Il y a semble-t-il une idée politique derrière ce logiciel libre et son contrat social. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Oui, c’est même le cœur du projet. Les logiciels de communication sont des outils de plus en plus présents dans nos vies, au point même que nos vies deviennent dirigées par eux (qui je connais, qui je contacte, quels événements je connais, dans lesquels je vais aller, comment je suis perçu par les autres, etc). Il devient évident qu’on ne peut pas laisser ça aux mains d’entreprises qui font de nous des bases de données, des statistiques, qui scrutent le moindres de nos faits et gestes et qui sont de vulgaires plate-formes de publicités (voire pire).

Il y a de nombreux problèmes avec les nouveaux média et l’usage qu’on en a: vie privée bien sûr, mais pas seulement. On devient accroc à de « l’information jetable »: qui arrive et repart aussitôt, qui est fourni au kilo et sans aucun recul, sans aucune réflexion; nous utilisons des médias privés sans aucune protection légale ou technique (nos messages paraissent la plupart du temps en clair sur les serveurs des gros sites, et sont utilisés souvent à notre insu); il y a une course à l’audience et une fuite dans le marketing; on consomme plus qu’on utilise…

Avec « Salut à Toi », nous essayons de réfléchir à ces problématiques, d’apporter des solutions techniques quand c’est possible (car l’outil n’est pas neutre: la façon de disposer les choses ou les fonctionnalités choisies jouent énormément sur l’usage), et d’amener ces sujets dans le débat public. L’enjeu est de taille !

Le contrat social est une des composantes de cette réflexion: comme d’autres l’ont fait avant nous, nous annonçons clairement nos idéologies et nos intentions, et nous engageons à les respecter. Nous nous engageons par exemple à publier des logiciels sous licences libres, ou à faire notre possible pour les rendre accessibles, à décentraliser au maximum, à refuser la publicité, etc.

> Quels sont vos projets pour l’avenir ?

Nous venons de créer une association, et nous espérons vivre du projet tout en restant cohérent avec nos idées. Le but de l’association est de tester les différents moyens de se salarier pour par la suite devenir une coopérative, le tout en autogestion (pas de hiérarchie, égalité des salaires, non spécialisation des tâches, consensus, etc). Nous faisons un pari risqué, mais je suis persuadé que le projet a un très gros potentiel, et que si nous arrivons à faire passer le message et à garder la ligne idéologique, les gens seront prêts à nous aider.

Au niveau du logiciel, nous espérons avoir une version prête pour le grand public (c.-à-d. facile à installer et suffisamment stable pour être utilisée au quotidien) autour de la rentrée.

> Comment voyez-vous l’avenir du logiciel libre ?

Techniquement: radieux, le logiciel libre a gagné sur beaucoup de plans

Idéologiquement: c’est une autre histoire. J’ai l’impression qu’une marche a été loupée et que l’énorme potentiel du logiciel libre s’est dilué: de plus en plus il est utilisé pour ses qualités techniques et non pour l’idéologie de partage qui va avec. Peut-être qu’il se professionnalise un peu trop ? On a vu des gens qui se sont longtemps dit « libristes » recommander d’utiliser Google +, l’utilisation de services centralisés et invasifs se fait de plus en plus sans sourciller, et on n’entend plus souvent des questions comme « êtes vous plutôt logiciel libre ou open source ? ». Quand on voit le nombre de « libristes » utiliser Twitter, il y a de quoi se poser des questions.

> Le mot de la fin, pour donner envie de rejoindre le mouvement du libre ?

La question à se poser c’est est-ce que vous voulez être quelqu’un de passif ou d’actif ? Un client ou un utilisateur, voire acteur ? Si vous êtes intéressé par le côté technique, le logiciel libre est une évidence. Si vous êtes intéressé par le côté idéologique (si vous êtes logiciel libre plutôt qu’open source): alors il faut venir pour apporter du sang neuf, des idées et surtout des débats ! On a un besoin urgent de repolitiser tout ça…

> Merci beaucoup d’avoir accepté de répondre à cette petite interview.

Merci à toi de l’avoir proposé et de l’intérêt que tu portes à « Salut à Toi »