Profil de Libriste, Tristan Nitot.

cozy

> Bonjour, et bienvenue. Tout d’abord, présentez-vous un peu, même si je pense qu’il n’y a pas vraiment besoin.

Je m’appelle Tristan Nitot, j’ai 48 ans. Je suis marié et j’ai deux enfants. Je suis un vieux natif du numérique car j’ai eu la chance de découvrir la micro-informatique à l’age de 14 ans, en 1980, à une époque où il n’y avait qu’une poignée de micro-ordinateurs en France. Ça m’a tout de suite passionné. J’ai ensuite découvert les réseaux « télématiques » (comme on disait à l’époque), les systèmes Unix, le Minitel puis Internet et enfin le Web. J’ai travaillé successivement pour Netscape (la société qui a popularisé le navigateur Web) puis chez Mozilla.

> Quand et comment avez-vous découvert les logiciels libres ?

En fait, au Lycée, au début des années 1980, j’étais stagiaire dans un centre de recherche qui n’existe plus, le Centre Mondial de l’Informatique. J’y utilisais un éditeur de texte pour développer : emacs, dont un des auteurs n’étais autre que Richard M. Stallman, lequel venait parfois travailler sur des Lisp Machines du Centre.

Le temps a passé et je me suis retrouvé chez Netscape, en 1997, aux débuts du Web que j’avais découvert quelques années plus tôt. Netscape, début 1998, a initié le projet Mozilla. Rares étaient les employés Netscape connaissant le logiciel Libre, et j’étais l’un d’eux. J’ai alors aidé le projet Mozilla autant que je le pouvais et je découvrais parallèlement Linux avec Red Hat 5.1. En 2001, j’ai eu l’opportunité de passer dans la partie de Netscape qui travaillait sur
le projet Mozilla.
> Qu’est-ce qui vous a plus et qui vous a donné envie de vous impliquer ?

C’est compliqué. Le plus important, c’était peut-être de voir une utopie en marche : des gens qui collaborent à l’échelle du globe pour faire un produit qui appartient à tout le monde. C’était à la fois très innovant, presque délirant, comme façon de produire de la valeur, et terriblement concret et pragmatique. En prime, cela crée du lien social. Que du bonheur !

> Que retenez-vous de votre longue aventure Mozilla ?

Qu’une poignée de gens décidés et disposant d’une grande idée peuvent avoir un impact positif sur le monde. Pour cela, il faut que l’idée soit excellente, y investir beaucoup d’énergie tout en restant pragmatique, et éviter d’y laisser sa santé. Concilier tout ça n’est pas facile… mais quand ça fonctionne, quel bonheur !

>> Un petit mot sur Mozilla au sujet des applis vérifiées pour Firefox ? Cela fait du bruit depuis quelques temps.

Je n’ai pas suivi l’affaire, il m’est difficile de donner un avis informé sur cette question.

> Qu’attendez-vous de cette nouvelle aventure qui commence juste avec Cozy Cloud ?

Je me suis engagé dans le projet Mozilla parce que c’était une idée vraiment innovante qui répondait à un vrai problème : le monopole des navigateurs Web nuisait beaucoup à la santé du Web. Internet Explorer, avec ses 95% de parts de marché, n’était plus développé. Ses utilisateurs souffraient de ses trous de sécurité, des pop-ups qui se multipliaient, de son interface utilisateur d’un autre âge (pas d’onglets, pas d’extensions) et les développeurs Web, malgré son manque de respect des standards, n’avaient pas d’autre choix que de développer pour lui. La fantastique promesse qu’était le Web avait un
avenir bien sombre. Il était clair qu’il fallait un nouveau navigateur, plus facile à utiliser, plus extensible, plus puissant et
plus respectueux des standards, pour que le Web prenne un second souffle. Firefox, sorti en 2004, a été le navigateur qui a tout changé.

Aujourd’hui, en 2015, nous allons fêter les deux ans des révélations d’Edward Snowden, alors que le monde confie ses données personnelles à de gigantesques silos gratuits comme Google et Facebook, pour qui nous ne sommes pas des clients mais de la matière première. Les vrais clients, ceux qui payent, ce sont les annonceurs publicitaires.

Il faut repenser à la démarche initiale du logiciel Libre : on voulait avoir du logiciel Libre pour contrôler, maîtriser, ce que faisait l’ordinateur, à l’époque non connecté au réseau. Aujourd’hui, avec le « Cloud », nous ne contrôlons ni le matériel, ni le logiciel qui tourne sur les serveurs et, pire, nos données sont dans des datacenters dont on ignore jusqu’à l’adresse postale. Nous avons perdu le contrôle de notre informatique et de nos données. C’est une aberration totale.

Cozy Cloud vise à répondre à cela : un serveur, en logiciel libre, que nous contrôlons, qui gère nos données. C’est tout simple.

Cozy, c’est le projet derrière lequel je mets tout mon poids dans l’espoir qu’on réinvente le cloud en le rendant personnel,
maitrisable, au service de chacun. En prime, ça me permet de rejoindre une équipe dynamique, compétente et super sympa !

> Et ce livre, qui semble très intéressant, où en est-il ?

Il est presque fini, écrit à 90%. Après, il faudra une relecture, et puis je vais me poser la question de l’édition.

> Comment voyez-vous l’avenir du web (surveillance de masse, fermeture administrative…) ? Les révélations de Snowden ne semblent ne rien avoir changées…

Elles ont beaucoup changé les esprits : selon plusieurs sondages, trois quarts des internautes considèrent que les grandes sociétés Internet en savent trop sur eux. Ils sont conscients du problème, mais ne savent pas comment agir.

Mon livre vise à avancer sur l’aspect éducation du problème : il faut expliquer aux gens qu’agir est possible, en leur expliquant le problème de la vie privée et de la surveillance de masse. Il faut leur donner des recettes simples pour qu’ils réalisent qu’ils peuvent faire quelque chose contre la surveillance et le profilage.

Il faut par ailleurs leur fournir des solutions technologiques qu’ils pourront utiliser. Cozy Cloud est une de ces solutions. Il en existe d’autres. Il faut les développer pour les rendre aussi faciles à utiliser qu’un Smartphone.

> D’autres projets, idées pour l’avenir, vous semblez toujours très actif.

Oui, quand un sujet me préoccupe, j’ai tendance à le prendre à bras le corps. En ce moment, le livre et Cozy Cloud m’occupent beaucoup. La problématique de la nouvelle loi Renseignement (voir mon blog) vient s’ajouter à ça. Il faut que je garde à l’esprit que j’ai une famille et que j’ai besoin de loisirs pour durer !

> Merci beaucoup d’avoir accepté de répondre à cette petite interview.

C’était avec un très grand plaisir. À bientôt !