Un grand merci à Tristan Nitot qui accepte cette petite interview à l’occasion de la sortie de son livre « Surveillance://« , disponible chez C & F Editions.
– Tout d’abord, une petite présentation, même si je pense qu’il n’y a plus besoin maintenant .
Je m’appelle Tristan Nitot, j’approche dangereusement des 50 ans (mais je n’ai pas de Rolex !), je suis passionné d’informatique depuis mon adolescence. J’ai longuement travaillé pour le projet Mozilla (le fameux navigateur Firefox), depuis ses débuts en 1998, jusqu’en mars 2015, où j’ai rejoint la start-up Cozy Cloud, qui fait une solution libre de
cloud personnel, et dont je suis l’un des deux dirigeants.
– Pourquoi avoir écrit ce livre ? Quel est le but, et la motivation ?
J’adore l’informatique, mais je ne peux m’empêcher de remarquer que les utilisateurs ont de moins en moins de contrôle sur leurs données, entre les smartphones qui captent toute notre vie et l’approche dite « Cloud » (qu’on devrait appeler « Software as a Service »). Il y a une explosion des données personnelles, qui sont captées par quelques grandes sociétés, et faute d’avoir été formé sur ces sujets, les utilisateurs ne comprennent pas comment ça arrive, et pourquoi c’est un problème. C’est
ce que j’ai donc voulu expliquer dans le livre, que j’ai voulu accessible au plus grand nombre.
– Y a-t-il vraiment un problème de surveillance en France, pays démocratique normalement ?
Le problème n’est pas tant ce qui arrive maintenant que la direction prise. D’abord, des tas de services et d’appareils captent nos données personnelles : à qui nous envoyons des emails, à propos de quoi. Où nous nous rendons (les GPS dans nos smartphones), à quoi nous pensons (un moteur de recherche) etc. Ensuite, le modèle commercial de ces services
est de nous profiler, tous savoir de nous, pour nous envoyer de la publicité ciblée. Et enfin, les états, qui aimeraient pour la plupart surveiller tous les citoyens sans en avoir les moyens, trouvent en ces services commerciaux une aubaine qui leur permet de surveiller tout le monde à moindre coût. En effet, la centralisation des données personnelles à des fins de profilage est ce qui rend économiquement possible une surveillance de masse.
– Si on a rien à cacher ? Pourquoi se méfier de cette surveillance ?
Nous avons tous quelque chose à cacher, et ça n’est pas forcément illégal. On a des loquets aux portes des toilettes, des rideaux aux fenêtres des chambres à coucher. Pourtant, on n’y fait rarement quelque chose d’illégal. Je cite le journaliste Glenn Greenwald à ce sujet.
« quand nous sommes surveillés, écoutés, notre comportement change du tout au tout. […] Une société dans laquelle les gens peuvent être surveillés à tout moment est une société qui pousse à la conformité, l’obéissance et la soumission, et c’est pourquoi tous les tyrans recherchent un tel système. À l’inverse, et c’est plus important encore, c’est uniquement dans le cadre de la vie privée, de l’intimité, quand nous avons la possibilité d’aller quelque part où nous pouvons penser,
raisonner et interagir sans le jugement ni le regard des autres, que nous pouvons explorer, être créatifs et exprimer notre dissidence. C’est pourquoi, si nous acceptons de vivre au sein d’une société dans laquelle nous sommes surveillés en permanence, nous acceptons de fait que l’essence de la liberté humaine soit complètement bridée. […] La surveillance de masse crée une prison dans l’esprit qui est bien plus subtile mais bien plus efficace pour favoriser la conformité aux normes
sociales, bien plus effective que la force physique ne pourra jamais l’être. »
– Peut-on se protéger ? Y a-t-il des solutions concrètes ? On entend parler de messagerie chiffrées.
Je dédie la 4eme partie du livre à ce sujet, car il me paraissait essentiel, une fois le problème posé, d’offrir des débuts de solutions, faciles à mettre en place et à moindre coût. Et, pour les plus courageux, il y a dans chaque chapitre une section « pour aller plus loin »… Les messageries chiffrées, c’est intéressant, mais quand on laisse son mail à Gmail et qu’on a installé Facebook sur son Android, penser se protéger en chiffrant ses messages instantanés est illusoire.
– S’il n’y avait pas eu Edward Snowden (qui demande son pardon à Obama via une pétition), en serions-nous là ?
Edward Snowden a joué un rôle essentiel sur ces sujets, en les mettant sur le devant de la scène médiatique. Avant, un nombre limité de personnes savaient ce qui était possible en terme de surveillance, on nous prenait pour des paranoïaques. Ça n’est plus le cas aujourd’hui, grâce à Snowden.
– Le mot de la fin.
J’espère que cet ouvrage touchera un public aussi large que possible, mais je l’ai aussi écris pour les geeks, les libristes et les partisans de la vie privée. Pour eux, il peut servir d’argumentaire pour mieux expliquer les enjeux qui nous concernent tous un peu plus chaque jour, et puis c’était l’occasion de réfléchir à la possibilité d’avoir une informatique dans le Cloud qui libère et reprend les principes du logiciel libre, adaptés au XXIe siècle.