J’ai eu l’idée de poser quelques questions à la super équipe de Framasoft. Histoire d’avoir leur avis sur la situation actuelle des internets, sur leurs projets, toussa quoi. Et ils ont répondu, rapidement et très gentiment, je les en remercie 😉 Y a pas à dire, il font vraiment du bon boulot, il faut continuer à les soutenir !
Allez, je leur laisse la place 😉
> Bonjour, pouvez-vous vous présenter un peu pour commencer ?
Nous ne sommes que quelques gentils membres, occupés à animer un réseau d’éducation populaire au logiciel libre, au libre en général, soutenus par une chouette foule d’utilisateurs, de contributeurs et de sympathisants.
Plutôt que de causer (ce que nous savons faire aussi, parfois jusqu’à pas d’heure), nous nous attachons à démontrer, mettre en pratique les principes auxquels nous croyons.
Montrer que ça marche.
> L’association Framasoft a été créée en 2004 par Alexis Kauffmann. Comment voyez-vous le chemin parcouru ?
Le chemin nous a confirmé le bien-fondé de la démarche.
Il nous a permis de comprendre ce que nous ne voulons pas être, ça n’est déjà pas si mal.
Nous ne voulons pas grossir outre mesure, nous voulons que chacun de nos membres connaisse personnellement les autres, qu’il y ait une vraie camaraderie entre nous, parce que c’est important et ça donne de la cohérence à la démarche.
Nous ne voulons pas non plus être des gourous, ou des donneurs de leçons, et encore moins des intégristes du Libre.
Chacun est libre de disposer de sa propre liberté, et si tes potes sont sur un réseau social propriétaire tu as le droit d’y être aussi sans te faire montrer du doigt.
> Le web et l’informatique ont beaucoup évolué depuis. La publicité pour monétiser des services gratuits, le tracking, la surveillance de masse, les GAFAM qui ont la mainmise sur nos données, ou encore l’IoT.
Comment analysez-vous ces changements ?
C’est la fin des illusions.
Il est temps de comprendre que tous ces merveilleux services gratuits ont finalement un prix.
S’il n’est pas sonnant et trébuchant, alors c’est qu’il est ailleurs.
On s’est régalé, mais maintenant on a les deux mains dans le pot à confiture, et ça colle.
Difficile de savoir ce que sont devenus les milliers de clichés que nous avons déversés sur la Toile, hein ?
Compliqué, de se souvenir des âneries postées sur les réseaux sociaux…
Impossible de maîtriser les résultats quand on interroge Tonton Roger sur son propre nom !
Tant que c’était un bazar libertaire, les Internets, c’était plein de petits acteurs inoffensifs qui faisaient à leur guise et selon leur insouciance. Mais depuis ça s’est organisé, concentré, et les gros ont bien l’intention de le rester.
> Et madame Michu dans tout ça, comment la convaincre que le libre est bon pour sa vie personnelle ? Que les silos, la centralisation et les plateformes fermées sont un danger.
Pour commencer, nous avons cessé d’embêter Madame Michu qui nous a dit être lassée des allusions méprisantes des libristes à son égard, et nous prenons pour emblème les Dupuis-Morizeau, une sympathique famille recomposée de Normandie.
Notre démarche s’inscrit dans l’esprit de l’éducation populaire. Nous nous efforçons de convaincre « en douceur » par l’information, par l’accompagnement et par l’exemple. Notez que depuis l’origine, Framasoft a voulu agir pour faciliter la transition progressive — et non pas brutale et à marche forcée — vers le monde du libre et ses valeurs. C’est dans cet esprit que nous continuons aujourd’hui à indiquer au grand public quels sont les dangers des silos privateurs, mais surtout quelles peuvent être les alternatives à la portée de tous pour peu à peu s’en détacher.
Les framaservices que nous proposons et continuerons à proposer sont à ce titre ce que les anglo-saxons appellent « proof of concept », c’est-à-dire la démonstration concrète que la possibilité existe de renoncer à des services qui vampirisent les données personnelles sans égards pour la confidentialité. Il ne s’agit donc évidemment pas de services qui visent à concurrencer ou remplacer les services bien connus existants, mais de permettre la prise de conscience d’autres usages possibles. Mais nous voulons aussi inviter un autre public, mieux équipé en connaissances techniques, à proposer à son tour des services libres, respectueux et décentralisés. Ainsi l’offre de services alternatifs peut se démultiplier et bénéficier à la famille Dupuis-Morizeau.
> Framasoft a toujours été active. Mais en peu de temps, il y a eu Dégooglisons Internet, et bientôt, les CHATONS.
Les choses s’accélèrent, semble-t-il. Pensez vous qu’il y ait urgence à agir ?
Pour être francs, nous sommes nombreux à penser qu’il est déjà tard, et qu’au mieux nous pourrons résister héroïquement dans un combat très mal barré. C’est David contre Goliath, quand les GAFAM alignent les milliards de dollars face à nos petits moyens.
Mais nous n’avons pas le droit de nous décourager tant qu’il y a des donateurs qui acceptent de mettre la main à la poche pour nous permettre de tenir, des bénévoles qui prennent du temps pour offrir un coup de main, des relais pour faire passer la parole du libre.
Ce qui est formidable quand nous tenons des stands à droite et à gauche, ce sont les messages de soutien des personnes qui viennent nous voir.
Au milieu de l’empire, on trouve des villages gaulois un peu partout et ça fait chaud au cœur.
> Le gouvernement vote des lois de plus en plus « contraignantes » pour nos vies privées. Y a-t-il d’autres remèdes ? Quel rôle peut jouer Framasoft dans tout cela ?
Même si Framasoft signe les pétitions et joint sa voix au chorus pour la liberté, nous ne sommes pas une association politique. Ce boulot-là, de vigilance, de protestation, de provocation, il est fait, et bien, par d’autres organisations.
Nous nous contentons de démontrer que des solutions existent, par la pratique, en proposant des alternatives et en poussant dans la lumière ceux qui le font aussi.
Nous allons également à la rencontre de ceux qui réfléchissent dans d’autres domaines que l’informatique et le web, en nous joignant au mouvement Alternatiba par exemple.
Nous nous définissons parfois comme une AMAP des biens communs, où chacun peut venir chercher ce dont il a besoin et proposer ses services.
En septembre, place de la République, nous étions à notre place et nous avons trouvé de l’écho.
> Le mot de la fin ?
Toujours le même : la route est longue, la voie est libre, c’est pour vous que nous sommes là, et surtout c’est grâce à vous. Merci !