Profils de Libriste : System-d.org

J’ai trouvé l’idée de System-d.org vraiment intéressante et utile. Et j’ai discuté un peu avec l’initiateur et mainteneur principal. Il a des idées intéressantes, il sort des sentiers battu, pas du milieu libriste, et ça fait du bien de voir cela, d’échanger.

Du coup, il a gentiment accepté cette petite interview par mail.

Bonjour. Pourriez-vous commencer par vous présenter un peu s’il vous plaît. Quel est votre parcours ?

J’avais de bonne notes à l’école, du coup j’ai atterri en prépa, j’ai intégré sans conviction une école d’ingénieur que j’ai quittée rapidement. Je lisais beaucoup Marx et je n’avais pas envie de me retrouver de leur côté du manche. Après j’ai été cuisinier quelques années, j’ai mon CAP et tout, puis j’ai un peu bossé avec des enfants dans le social. J’ai beaucoup aimé, j’aimerais bien refaire un jour même si je suis heureux de plus avoir à travailler avec des éducs violents.
J’avais des facilités en math, un ordinateur assez tôt à la maison, de la curiosité pour, mais à l’époque c’était fragile, on pouvait « casser » windows 95 facilement en bidouillant, et ma mère qui reprenait ses études en avait besoin pour rédiger ses mémoires, du coup j’ai reporté ma curiosité sur d’autres trucs.

Vous ne venez pas du milieu du logiciel libre, comment êtes-vous venu à vous y intéresser, et pourquoi ?

Je me suis ré-intéressé aux ordis il y a seulement 3-4 ans. Avec l’envie de créer System-d.org. J’avoue ne pas être très intéressé par les «milieux» de manière générale, avec leurs codes, leurs hiérarchies informelles… Je préfère être inscrit dans des projets avec des personnes avec lesquelles j’avance que dans des milieux qui passent leur temps à se redéfinir idéologiquement, avec leurs curés et leurs querelles de chapelles,leurs orthodoxies, leurs procès en inquisitions, etc. Le milieu du libre ne fait pas exception même si j’y rencontre plein de personnes très sympathiques, avec lesquelles je prends plaisir à créer.
Je trouve la pratique de l’open source formidable, je suis admiratif de trucs comme Wikipédia ou Linux. Je suis fasciné de voir que le collaboratif et la «gratuité» permettent d’aboutir à des résultats plus puissants que Europa Universalis et Windows. Je constate que cette façon d’envisager la production est extrêmement performante, et qu’elle a un potentiel bridé par la logique marchande d’une société de classe (le business-model limite quasi-systématiquement les fonctionnalités ou la possibilité de les exploiter à grande échelle). Je suis convaincu que ce mode de production basé sur le partage et la collaboration de tous à la construction d’un commun accessible gratuitement est possible au-delà de la production «dématérialisée». Que cette façon de faire est applicable à la production concrète de la vie matérielle des individus. J’ai en moi la certitude que ce sera la puissance de la révolution à venir, ce qui rendra bientôt la logistique des révolutionnaires plus efficace que le capital et l’État.

Vous avez développé la plateforme System-D.org. D’où est venu cette idée ? Pourquoi et quel est le but ?

J’étais très impliqué dans les Nuits-Debout sur Nîmes, j’y faisais de la coordination : faire en sorte que des gens avec des envies, des compétences, des ressources à partager se retrouvent plus facilement sur des projets communs (collage d’affiches, actions, couscous, concerts, etc.). J’ai essayé de mettre des outils en place, des tableaux d’affichage, des fiches projets et rapidement m’est venue l’envie de créer un outil numérique permettant à la fois de se rencontrer sur la base de ses projets et de ses compétences, permettant le partage de ressources et permettant d’offrir pleins de fonctionnalités pour accompagner les projets dans leur organisation au quotidien.
Aujourd’hui c’est dans l’autre sens que je le prends : d’abord un chouette outil d’organisation, et, lorsque la masse critique d’utilisateurs sera atteinte, de permettre la mise en réseau.
La finalité est de créer un grand réseau de projets et d’utilisateurs avec leurs compétences afin de pouvoir être plus résilient lorsque le capital cessera d’être en mesure de subvenir aux besoins des gens. Que System-d.org leur permette de répondre collectivement, par le bas, de manière fluide et spontanée à toutes les problématiques qui vont se poser (je parle d’effondrement, mais je l’envisage plus comme l’effondrement d’un rapport social, au travers de luttes, au travers de la nécessité de se saisir des moyens de production pour poursuivre la lutte, s’organiser collectivement pour vivre contre la logique de destruction du capital ).

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur cette expérience de développement, ce n’est pas votre domaine ? Parlez-nous un peu de technique.

C’est quelque-chose que j’apprécie beaucoup, j’aime bien les raisonnements dans l’abstraction, je prends plaisir «graphiquement» à jouer avec le CSS comme j’aime jouer avec l’aquarelle et en plus ça me permet de mettre ces compétences au service de plein de gens.
J’apprends au fur et à mesure des besoins, et d’une certaine manière mes connaissances sont très limitées en dehors de ce que j’ai eu à faire jusqu’ici pour créer System-d.org. J’ai très peu de notions en AdminSys, je n’y connais pas grand chose en appli mobiles, je ne suis pas très à l’aise avec d’autres frameworks que Meteor et Materialise (je bosse quand même dans une boite qui fait du Ruby, et j’ai créé des trucs avec ReactJS).
D’un point de vue technique je suis pas très orthodoxe, je suis plus un bricoleur qu’un ingénieur : j’ai fait une formation courte de 1 an et j’essaie de faire en sorte que mon code soit simple à lire. Je suis pas un esthète du code et je fais des choses que la morale réprouve : je met du CSS dans les balises style de mon html, je fais pleins de copier-coller et je factorise pas toujours tout… Je penses qu’il y a chez moi un côté insolent qui me fait prendre mon pied à faire des interfaces super agréables pour l’utilisateur avec du code qui fait saigner les yeux de mes pairs (ceux qui font des interfaces hideuses et incompréhensibles avec du code magnifique, respectant toutes les conventions).

System-D.org semble à vocation politique et militante si je ne m’abuse. Pensez-vous que la technologie peut aider la société à s’organiser et faire évoluer, avancer les choses ?

Je pense que ce mouvement vers des formes d’organisations plus horizontales, plus immédiates, fluides est inscrit dans les luttes, et qu’elles vont vers des outils qui les accompagnent dans cette direction. System-D.org essaie d’offrir un outil adapté à cela, mais sans «militantisme» : juste en essayant d’être pratique et agréable à utiliser, sans «guider» dans telle direction plutôt qu’une autre. Il y a une confiance qu’en offrant de tels outils, on rend plus efficaces des pratiques sociales qui font changer le monde. Ces pratiques existaient avant ma plate-forme et continuerai d’exister sans elle. J’essaie de mettre mon grain de sel en leur offrant un outil adapté.

Comment voyez-vous l’avenir de System-D.org, son évolution, ses développements ?

Le point le plus limitant à l’heure actuelle c’est de ne pas savoir si les autres membres du projet ont interagi ou pas, et de ne pas pouvoir communiquer avec eux simplement. Du coup les prochaines «grosses» évolutions c’est une appli Android avec notifications (et/ou une progressive web-app), ainsi qu’une messagerie instantanée un peu comme sur Facebook (mais chiffrée bien sûr).
L’autre point majeur, c’est la structuration pour pouvoir durer et consacrer plus qu’un jour ou deux par semaine à ce projet : ça implique de monter une asso, de réfléchir à peut être une campagne de crowdfunding…
A court terme il y a pleins de suggestions d’utilisateurs que je veux intégrer, afin de rendre l’outil de gestion de projet plus pratique mais aussi tout un travail de comm à poursuivre afin d’inviter pleins de personnes à découvrir l’outil.
A moyen terme il y aura la mise en lien des utilisateurs et des projets, pour faire de System-d.org un outil sur lequel on se rencontre pour partager des ressources, pour collaborer à des projets avec ses compétences.
A long terme, il y aura tout un travail sur la résilience de la plateforme et sa scalabilité, et cela implique de réfléchir à des moyens adaptés pour la décentraliser. C’est complexe et je n’ai pas (encore) les compétences pour le faire.
L’avantage, c’est que plus c’est connu plus on fait des rencontres de gens compétents pour participer au projet et que les problématiques liées aux étapes de ce développement se présentent avec les personnes et les ressources pour les résoudre. Je suis très heureux de constater que mon enthousiasme sur ce projet fait écho chez plein de personnes qui commencent à nous rejoindre.

Pour le moment, les outils technologiques sont plutôt utilisés pour surveiller, monétiser, voir censurer la parole des utilisateurs (les scandales Facebook sur la vie privée, les révélations de Snowden, la reconnaissance faciale prochainement, Youtube et la monétisation). Pensez-vous que des outils comme System-D.org pourraient faire changer les choses ?

Je considère que c’est les luttes qui font avancer les choses et elles trouvent ou créent les outils qui leurs sont nécessaires. Facebook a permis de grandes choses, plus d’immédiateté dans la façon dont les gens conduisent leurs luttes, se soulèvent, ça a permis des révolutions, des mouvements fort comme celui des gilets jaunes. Je pense pas que ça fasse rêver Zuckerberg, mais on peut le remercier pour ça. Aujourd’hui son modèle de financement et sa logique de contrôle et de délation deviennent un frein, une limite, et les gens se tournent vers du chiffré. J’espère qu’ils trouveront en System-d.org un outil adapté. Je fais tout pour.

Merci beaucoup pour toutes ces infos et précisions. Longue vie à System-d.org et bonne continuation 😉